Les 2 lignes en C ? Tout comme en Formule 1, les avancées technologiques réservées au monde de la compétition finissent par se démocratiser et les usagers de l’automobile du quotidien finissent par en profiter aussi, tant au niveau de la sécurité que de la performance: pneumatiques, matériaux composites, moteurs… C’est un peu la même chose en parapente.
En parapente, on peut parler du “sharknose”, introduit en 2011 sur la voile de performance d’Ozone, la R11. L’idée était de modifier la forme du bord d’attaque pour le rendre plus performant (meilleur écopage lors du gonflage ou de la réouverture en cas de vrac, moins de traînée accélérée…).
Bien qu’inventé par Ozone, la marque ne s’opposa pas à son utilisation par la concurrence, et aujourd’hui on le trouve décliné dans toute la gamme des différents fabricants, même s’ils utilisent un nom parfois différent.
Sommaire
Les deux lignes, c’est quoi ?
Initialement, un parapente ressemblait à une grosse toile d’araignée : Il y avait 4 rangées de suspentes (parfois 5 même au début ! ) en plus des drisses de frein. Certains concepteurs ont commencé à élaguer le suspentage, en proposant des ramifications par étages (pattes d’oies) : l’idée était de diminuer la traînée.
Pour la même raison, on est ensuite passé à trois lignes, en rajoutant quelques renforts (cloisons en diagonale, joncs à l’intérieur de la voile elle-même) voire pattes d’oies transversales, dans le sens de la corde…
Il est logique que la course à la performance mène à supprimer cette troisième ligne.
Ainsi sont nées les 2 lignes.
Le fabricant brésilien SOL proposa même un prototype en “une” ligne, en 2011.
Cette modification n’est pas sans conséquence. Moins de traînée, plus de performance, mais aussi plus d’exigence.
Les plus anciens d’entre nous se souviennent de la “Mantra 10”, sortie en 2010, qui existait en deux versions : Mantra R 10 : 3 lignes (“modèle enfant” comme disait un ami) et Mantra R 10.2 en 2 lignes pour la compétition.
Initialement réservée aux modèles de compétition, cette modification se retrouve bientôt déclinée sur quasiment tous les parapentes “de performance” (EN-D).
La suppression d’une ligne de suspentage (les C) reculait de fait le point d’ancrage de la ligne des A par rapport au bord d’attaque. Il en résultait qu’il est très difficile de provoquer une fermeture lors des tests d’homologation, sans l’ajout de “lignes de pliage”.
Il est parfois dit que certaines ailes D en 2 lignes (Omega X-alps 3, Wild, Klimber…) auraient pu passer en ‘C’ sans cet artifice, si on s’en tient aux autres résultats des tests d’homologation.
Fin 2021, la réglementation s’assouplit, et il est désormais possible d’homologuer une 2-lignes en C, pour peu qu’elle passe les tests bien sûr.
Airdesign est le premier concepteur à homologuer une C en 2 lignes en février 2022 : la Volt 4.
Cette voile a pas mal de succès. En 2023, quasiment tous les nouveaux modèles de C sortent en 2 lignes pour suivre la tendance et ne pas perdre de parts de marché.
- AirDesign Volt 4
- Sol LT-2
- Gin bonanza 3
- Skywalk Mint
- Ozone Photon
- Niviuk Artik R (race),
et la liste est non exhaustive…
Bref, il s’agit d’une tendance de fond.
Avantages d’une « 2 lignes »
Enlever une ligne de suspentage, c’est en moyenne 70 mètres de suspentes en moins.
C’est donc un avantage non négligeable en terme de traînée.
La voile est donc plus performante en petites conditions, gagne en vitesse max, et bien sûr en finesse (Finesse = Portance / Traînée). Face au vent, la différence est nette !
Si vous volez à côté à côté d’un copain équipé d’une “deux lignes”, ça risque de vous donner envie de changer d’aile. Il y a fort à parier qu’il vous laisse sur place (meilleure vitesse), et qu’il vous donne en plus l’impression de monter : C’est une illusion, il descend juste moins vite que vous (meilleur taux de chute, donc meilleure finesse). Ce type de voile est plutôt typé cross.
Inconvénients d’une « 2 lignes »
Comme il y a plus de pression sur les lignes restantes, il peut en résulter un faux sentiment de sécurité. La voile ferme moins … jusqu’à un certain point.
Un peu comme la fable “le chêne et le roseau” (ce dernier, je le rappelle, plie mais ne se rompt pas), une voile en 3 lignes ressemblera au roseau, une “2 lignes” au chêne. Le roseau plie plus souvent, mais à la fin de la tempête, il se redresse.
D’autre part, ce type de voile permet d’atteindre des vitesses accélérées supérieures à une 3 lignes. Il en résulte qu’une fermeture en 2 lignes accélérée est forcément impressionnante, et la réouverture plus hasardeuse, nécessitant plus de temps et de maîtrise. Sans parler d’éventuels problèmes de cravates (dû à un suspentage plus élagué). Mais on peut aussi dire que la voile ferme moins souvent, si on voit le verre à moitié plein.
Enfin, ce type de voile nécessite un entretien plus suivi : il y a moins de rangées de suspentage, et les lignes sont plus sollicitées. En conséquence, le calage doit être plus étroitement surveillé, et vraisemblablement plus souvent. C’est le prix de la performance. Sur la Mint, Skywalk préconise de contrôler le calage au bout des 25 premières heures de vol.
Pilotage d’une 2 lignes
Il est impératif d’apprendre à voler aux arrières (pilotage actif aux B), a fortiori lorsque l’on pousse l’accélérateur.
Sur un parapente C classique, c’est déjà une bonne habitude, sur une deux lignes, ce mode de pilotage prend tout son sens et devient même obligatoire. Cela permet de sentir la pression dans la voile, de corriger l’incidence et de prévenir un début d’abattée.
La sensibilité accrue lorsqu’on pilote activement aux B permet de mieux anticiper les fermetures et donc de les éviter plus sûrement, elle permet aussi de voler plus vite et plus efficacement.
En vol accéléré, si l’aérologie devient un peu turbulente, mettez un peu de traction sur les B, lorsque la turbulence cesse, on peut réduire (ou annuler) cette traction pour augmenter la vitesse. Voler vite en aérologie normale exige une attention constante : il faut associer le pilotage aux élévateurs B et l’ajustement de l’accélérateur pour maintenir la voile ouverte et en pression. Cette manière de contrôler l’aile est adaptée à une aérologie “normale” mais, en cas de turbulences fortes, elle doit laisser la place à un pilotage actif approprié aux commandes (freins). Pensez bien sûr à bien relâcher l’accélérateur avant d’utiliser vos commandes (poignées).
S’habituer à ce type de pilotage prend du temps, donc n’allez pas trop vite, dans tous les sens du terme. Cela dit, c’est peut-être ce pilotage aux B, l’impression d’être connecté aux réactions de votre voile, qui vous donnera envie de changer de monture, tout en restant dans la catégorie C.
Par ailleurs, il est judicieux d’avoir expérimenté les conséquences d’une fermeture asymétrique, et le pilotage nécessaire pour contrer un départ en autorotation lors d’un SIV, au moins sur une voile “classique”. Comme nous l’avons vu, il est difficile de reproduire ce type de comportement sur une deux lignes, mais certains fabricants proposent des “kits de lignes de pliage”. Enfin ce n’est pas tant sur les asymétriques que les problèmes se posent pour les deux lignes, mais plutôt la frontale généralisée, qui nécessitera un pilotage approprié, comme l’expliquent Russell Ogden et Martin Orlik :
Cette vidéo est un peu datée (2012), mais l’essentiel de ce qu’ils disent reste vrai.
Retour d’expérience sur les 2 lignes
Comme j’ai volé tout l’hiver au Mexique, et je partage ici mon retour d’expérience :
J’y ai vu pas mal de nouvelles EN-C en 2 lignes (pour ne pas dire Volt 4) …
J’ai également été témoin de pas mal d’ouverture de secours, notamment sous quelques Volt 4.
Évidemment, pas QUE les Volt 4 et pas TOUTES les Volt 4, que l’on ne me fasse pas le procès de critiquer cette aile, pour laquelle j’ai bien failli craquer ! Je dois même dire que je suis même envieux des vols réalisés pendant mon séjour mexicain par des pilotes sous cette même voile, et ça m’arrange de croire que c’est dû à la voile, plutôt qu’au pilote. 😉 Par ailleurs, les retours d’expérience en SIV indique que c’est une voile bien dans sa catégorie. Il se trouve que c’était les seules EN-C en 2 lignes. Et les faits sont têtus.
La plupart de ces pilotes étaient de “jeunes loups” aux dents longues, pour lesquels c’était la première C, enivrés par la sécurité perçue de la voile, qui volaient probablement au dessus de leur niveau, accéléré près du relief, et/ou dans une aérologie musclée sans en avoir conscience. Bref, un cocktail détonnant.
Bref, comme dit Oncle Ben à Peter Parker dans Spiderman :
Conclusion
Ces EN-C en deux lignes tendent à se généraliser en 2023. Certains concepteurs ont déjà pris les devants, tandis que d’autres sont plus attentistes. Qui a raison ? L’avenir nous le dira. Il y a fort à parier que tous les fabricants vont s’y mettre en définitive.
Orientées performance, elles sont globalement plus exigeantes qu’une EN-C classique (3 lignes). Elles s’adressent plutôt à des pilotes expérimentés, ayant un pilotage adapté.
Si vous êtes déjà en C, et que vous volez souvent accéléré, que vous sentez limité par les performances de votre aile, alors ce type d’aile est probablement pour vous.
Certaines d’entre elles sont en vente (et à l’essai) à la boutique parapente des Grands Espaces. C’est encore le meilleur moyen de se forger une opinion.
Retrouvez le comparatif des EN C en 2 lignes et les impressions de Robin.